Si tout le
mouvement du transhumanisme imagine et fantasme un post-humain immortel, ce
roman de l’américain Drew Magary aborde cette question de front : c’est
bien beau l’immortalité, mais sur une planète aux ressources limitées, dans une
humanité qui ce définit essentiellement par sa finitude, c’est un joyeux
bordel. Le roman s’ouvre sur un prologue qui récupère et actualise le vieux
procédé littéraire du manuscrit trouvé : le roman qui suit est composé
d’entrées de blogue découvert en 2093 sur un serveur oublié (on aimerait
d'ailleurs qu'il maintienne cette forme « entrée de blogue » jusqu'à
la fin, mais à un certain moment, il se laisse prendre par son récit et
l’abandonne plus ou moins). Un blogue composé par John Farrell entre 2019 et
2079, relatant les évènements de sa vie à partir du moment où il est devenu
immortel, jusqu'à sa mort. Mais au-delà de l'anecdote, c'est surtout une
société en pleine métamorphose, puis en profonde crise, qui occupe le centre du
récit. Magary pousse très loin son idée en extrapolant jusqu'au point de
rupture cette idée d’une société postmortelle. À partir d'une utopie
posthumaine, il construit une dystopie qui, elle, est profondément humaine.
Malgré certaines maladresses et un manque de recherche formelle, Magary propose
une réflexion bien menée ancrée dans la mentalité contemporaine sur la mort et
le vieillissement. Il parvient à montrer la catastrophe inévitable qui attend
une société d’immortels, sans pour autant condamner l'idée unilatéralement, ou
du moins il l'approche d'une manière réaliste : peu importe ce qu'on peut
en dire ou en penser, il faut se rendre à l'évidence, très peu de gens refuseraient
une cure contre la vieillesse.
Résumé
En 2019,
une cure contre le vieillissement a été découverte par hasard par un généticien,
Graham Otto, d’Oregon, qui cherchait à éliminer le gène des cheveux roux. Cette
cure consiste à prendre une prise de sang, à concevoir un virus spécifique et à
l'injecter dans le patient afin de modifier son ADN, éliminant le gène du
vieillissement. La personne ne devient pas véritablement immortelle, mais cesse
de vieillir. Elle peut mourir d'accidents ou de maladies, mais jamais elle ne
mourra de vieillesse. Plusieurs pays légalisent la cure, mais les États-Unis
demeurent prudents et le président décrète un moratoire qui a évidemment pour
effet de créer un marché noir et une importante crise sociale, certains
évoquant des arguments religieux pour la cure demeure illégale, alors que les
autres brandissent l'argument de la liberté, allant jusqu'à accuser le
gouvernement de meurtre en les forçant à ne pas devenir immortels. Le
narrateur, un jeune avocat de New York, décide d'avoir la cure sur le marché
noir. Il l'annonce ensuite à son père, qui refuse l'idée de la vie éternelle,
ne voulant que rejoindre sa femme déjà décédée, à sa sœur, qui refuse également
l'idée ne voulant pas passer l'éternité à s'en faire pour ses enfants, et à sa colocataire,
qui le supplie de lui donner l'adresse de son médecin. Il le fait et se rend
avec elle jusqu'à l'édifice du centre-ville, mais un terroriste anti-cure fait
sauter le bureau alors qu'elle s'y trouve, tuant la jeune femme et le médecin.
Cet évènement marque profondément le protagoniste, le forçant à se questionner
sur la valeur de la vie et de la mort lorsque le vieillissement du corps
n'entre plus en jeu. Dix ans plus tard, en 2029, alors que la vie continue, il
décide de se spécialiser en droit du divorce, puisque ceux-ci se
multiplient : les hommes riches ayant réalisé soudainement que cette vie
éternelle dépasse largement les limites de ce qu'ils avaient envisagé comme
engagement. Plus personne ne se marie, sinon dans des contrats à durée limitée
(cycle-marriage). Le narrateur
apprend d'ailleurs que sa petite amie est enceinte et qu'elle souhaite se
marier. Il refuse et elle le quitte. Elle élèvera son enfant, David, avec un
autre homme. Alors que David atteint l'âge d'un an, son grand-père, qui avait
fini par succomber et obtenir la cure (désormais rendu légale), est désespéré
de son choix qu'il regrette et est heureux d'apprendre qu'il se meurt d'un
cancer très violent. Il meurt ainsi peu de temps après. John a alors trouvé
l'amour de sa vie, une ancienne copine de classe sur qui il a passé toute son
adolescence à idolâtrer et qu'il a retrouvée par hasard. Après ses
retrouvailles, le soir même, il est attaqué par une bande de Terra-trolls, un prolongement des trolls
qui sévissent sur Internet et qui ont décidé de répandre le chaos dans le monde
réel. Entièrement maquillés et habillés de vert (Greenies), ils attaquent les passants qui ont eu la cure et gravent
leur date de naissance dans leur peau. John est profondément traumatisé par
cette attaque qu'il vit comme un véritable viol. Lorsqu'il retrouve le troll par
hasard, il l’attaque sauvagement et le tue, mais effraie par le fait même sa
fiancée qui recule dans la rue et se fait tuer par un camion. D'autres
dérapages importants démontrent l’anomisation progressive de la société :par
exemple, de nombreux survivalistes accumulent les denrées et les armes (stockpiling), alors qu’une femme est
condamnée pour avoir donné la cure à son bébé de huit mois pour qu'il ne grandisse
jamais. Le terrorisme se généralise et certains pays condamnent à mort ceux qui
ont reçu la cure au-dessus d’un certain âge.
28 ans plus
tard, en 2059, on retrouve John qui a vécu une longue période d'errance, vivant
dans la rue parmi toute une nouvelle classe de désoeuvrés immortels. Il se
reprend alors en main et se fait embaucher dans une compagnie qui se spécialise
dans le suicide assisté (end
specialization), alors légalisé. Les gens qui ont eu la cure et souhaite mourir
contactent cette compagnie et ceux-ci se rendent chez eux, procède à une
entrevue, enregistre un testament vidéo et les tue selon la méthode qu'ils
désirent. John n'est d'abord que l'intervieweur, accompagnant le tueur. Il a
choisi ce boulot parce qu'il a trouvé déplorable la façon dont son père est
décédé, malheureux de son immortalité, impuissant à choisir sa propre destinée.
Son fils David, désormais adulte et membre très respecté d'une secte humaniste et
collectiviste pro-cure assez radicale (la Church
of Man), déplore se choix de carrière, mais lorsqu'un terroriste détruit le
temple que David fréquente, le tuant lui et tous les membres de la famille qui
lui reste, John se radicalise et devient lui-même tueur, allant jusqu'à
accepter les nouveaux contrats de « suicides » assistés involontaires
du gouvernement. C'est que la situation est pire que jamais : non seulement le
vieillissement a été stoppé, mais une cure universelle contre toutes les
maladies a aussi été découverte sous la forme d'une nanotechnologie (Skeleton Key) qui détruit toutes
cellules néfastes, qu'elles soient bactériennes, virales ou cancérigènes. La
planète n'en peut plus. Les Chinois ont commencé à tatouer les nouveau-nés avec
leur date de naissance après avoir interdit la cure, puis ils ont entièrement fermé
leur frontière, allant même jusqu'à « atomiser » leurs propres villes
pour contrôler leur population. En 2079, les États-Unis sont devenus un pays du
tiers-monde. Ceux qui ont eu la cure sont refusés dans les hôpitaux surchargés,
les bidonvilles sont innombrables, l'eau est devenue une denrée rare et extrêmement
coûteuse. La mort n'a jamais été aussi présente que dans ce monde d’immortels.
Dans ce contexte, le gouvernement met donc à prix la tête de tous les criminels
(hard end specialization), puis des
personnes âgées, qui ont « assez vécu ». C'est à ce moment que John
trace la ligne et qu'il refuse de continuer. Il démissionne et part en cavale
avec une femme ex-terroriste enceinte qui l’obsède depuis des décennies (après
l'avoir entrevue sur la rue plusieurs fois) et qu'il a décidé de protéger. Pris
au cœur d'une émeute, il se réfugie dans la Church of Man, où le nom de son
fils lui ouvre les portes. Blessé, il meurt au bout de son sang, ayant réussi à
sauver la vie de la femme enceinte, désormais sous la protection la Church of
Man.
Extraits
« thousands of entries […] have been edited and
abridged into what we believe constitutes an essentiel narrative, and incontrovertible
evidence that the cure for aging must never again be legalized. » (2)
« what this involves is me taking a sample of your DNA, then finding and
altering – or, more precisely, deactivating – a specific gene in your DNA, and
then reintroducing it into your body through what’s known as a vector, or a
carrier. In this case, that means a virus. So I’m going to take some blood from
you today, isolate the gene, change it, create the vector virus, and then
inject that vector back into your system at three distinct points: your inner
thigh, your upper arm, and your neck. That’s two weeks from now. And then we’re
done. After you go home, the virus will replicate the new gene code throughout
your system. Within six months, it will be present in all your tissue, and the
aging of your body will be permanently frozen where it is. The rest, after
that, is up to you. » (7)
« This doctor will only take direct referrals from a
small circle of people he knows, and one of them happens to be a guy I know. No
extra degrees of separation beyonf that. It’s like a drug dealer, I swear. […]
Who made you guardian of the fountain? What – is this like your boys’ club? Do
you all go get the cure and then take a naked swim together? Is that it? »
(17)
« It’s not that people don’t want to die. It’s that
they don’t want to grow old. » (22)
John/His father: « "I’m getting the cure. […] I
knew someone. It wasn’t that hard. Do you want it? The doctor said he wouldn’t
give it to anyone over thirty-five, but I bet I could convince him otherwise,
or find someone else to do it." "Won’t give it to anyone over
thirty-five? Wells, isn’t that a bitch? I suppose I’m a member of the
'unluckiest generation' now. That’s what they called it in the news report.
'The last to die,' they said. It’s like the people who died just as TV was
being invented. That had to have been aggravating. You spend your whole life
sitting next to some giant radio. And when they finally get around to adding
picture to the sound, you’re dead as a doornail. Not really fair. […] I dunno.
Look, I don’t mean to sadden you. Because I’m happy as can be that you found
something that will keep you healthy forever and ever. I really am. It’s a
comfort for me to know that you’re not going to frow old and have crappy knees
and hit a golf ball no more that eighty yards. But each day I’m down here is
another day I’m away from your mother." » (20-21)
John’s roommate : « I am gonna party my ass off
until the year 5000! » (18)
« "Immortality will kill us all." There are
wild postings with that statement all along First Avenue. […] They’re simple
black-and-white posters. Just type. No fancy fonts or designs in the
background. No web address. That one sentence is all they say, over and over
again, down and across the hoardings. When I walked by them, they were clean,
as if they had been posted the night before. But I noticed, as I got toward the
end of the block, that one of them had already been defaced. Not on the lowest
rung but the second from the bottom. Someone had used a cheap, blue ballpoint
pen to write something underneath the slogan. It was small, but is was
unmistakable : except for me. »
(5)
« They change the slogan on those First Avenue wild
postings : death be proud. I
don’t think it’s annywhere near as clever as the first one they tossed up
there. Nearly all the posters had already been defaced by the time I saw them.
There was one piece of graffiti that I particulary enjoyed. It had been done by
someone who was clearly skilled with a can of spray-paint. It was the grim
reaper, with his scythe plunged straight through his own back, impaling him and
leaving him dangling in midair. He was stone dead. » (24)
Allan Atkins : « How can this administration justify
doing what it is doing? How? How is it possible? You tell me where it says in
the Constitution that this cure is forbidden. […] any judge worth his salt
would look at this ban and see a crime. An
outright crime against a country and its citizen. And the only judge that would
ban it would be fascist, activist judge who wishes to impose his or her
individual beliefs upon us all. See, this ban is liberal thinking at its
absolute worst. They don’t want to give you the freedom to make your own
choices. They want you to suffer. They
are antihuman. It’s not enough for them to merely hate America. No, now they
hate the very idea of humanity. Humans
are bad. » (32)
« I took my picture again this morning. Still the same.
[…] there are some slight differences there, but the fundamental aspects of my
face are identical from each day to the next. If you made a flip-book ot it, it
would be the most boring film imaginable. […] You wouldn’t know that I’ve lived
ten years between the first photo and the last. All 3,650 pictures could – if
not for my hair – have been taken on the same day. The time span is invisible.
It’s as if I haven’t lived at all. » (75)
« I once met a traveler who told me he would live to
see the end of time. He laid out all his vitamins before me and told me he
slept seven hours every night, no more or less. All the life you want, he said.
It’s all within the palm of your hand now. He said he would outlast all the
wars and all the diseases, long enough to remember everything, and long enough
to forget everything. He’d be the last man still standing when the sun decides
to collapse upon itself and history ends. He said he had found the safest place
on earth, where he could stay until the gateway to the beyond opened before
him. A thousand generations from today. I pictured him here, atop a remote and
snowy mountain. The heavens opening and God congratulating him for his
perseverance. […] A life into divinity. But I knew it was a lie. I’ve always
known it was a lie. You cannot hide from the world. It will find you. It always
does. And now it has found me. My split second of immortality is over. All
that’s left now is the end, which is all any of us ever has. […] There is no
dread. There is only certainty. » (365)