mardi 12 février 2013

The Postmortal (Magary, 2011) : Immortality Will Kill Us All


Si tout le mouvement du transhumanisme imagine et fantasme un post-humain immortel, ce roman de l’américain Drew Magary aborde cette question de front : c’est bien beau l’immortalité, mais sur une planète aux ressources limitées, dans une humanité qui ce définit essentiellement par sa finitude, c’est un joyeux bordel. Le roman s’ouvre sur un prologue qui récupère et actualise le vieux procédé littéraire du manuscrit trouvé : le roman qui suit est composé d’entrées de blogue découvert en 2093 sur un serveur oublié (on aimerait d'ailleurs qu'il maintienne cette forme « entrée de blogue » jusqu'à la fin, mais à un certain moment, il se laisse prendre par son récit et l’abandonne plus ou moins). Un blogue composé par John Farrell entre 2019 et 2079, relatant les évènements de sa vie à partir du moment où il est devenu immortel, jusqu'à sa mort. Mais au-delà de l'anecdote, c'est surtout une société en pleine métamorphose, puis en profonde crise, qui occupe le centre du récit. Magary pousse très loin son idée en extrapolant jusqu'au point de rupture cette idée d’une société postmortelle. À partir d'une utopie posthumaine, il construit une dystopie qui, elle, est profondément humaine. Malgré certaines maladresses et un manque de recherche formelle, Magary propose une réflexion bien menée ancrée dans la mentalité contemporaine sur la mort et le vieillissement. Il parvient à montrer la catastrophe inévitable qui attend une société d’immortels, sans pour autant condamner l'idée unilatéralement, ou du moins il l'approche d'une manière réaliste : peu importe ce qu'on peut en dire ou en penser, il faut se rendre à l'évidence, très peu de gens refuseraient une cure contre la vieillesse.

Résumé
En 2019, une cure contre le vieillissement a été découverte par hasard par un généticien, Graham Otto, d’Oregon, qui cherchait à éliminer le gène des cheveux roux. Cette cure consiste à prendre une prise de sang, à concevoir un virus spécifique et à l'injecter dans le patient afin de modifier son ADN, éliminant le gène du vieillissement. La personne ne devient pas véritablement immortelle, mais cesse de vieillir. Elle peut mourir d'accidents ou de maladies, mais jamais elle ne mourra de vieillesse. Plusieurs pays légalisent la cure, mais les États-Unis demeurent prudents et le président décrète un moratoire qui a évidemment pour effet de créer un marché noir et une importante crise sociale, certains évoquant des arguments religieux pour la cure demeure illégale, alors que les autres brandissent l'argument de la liberté, allant jusqu'à accuser le gouvernement de meurtre en les forçant à ne pas devenir immortels. Le narrateur, un jeune avocat de New York, décide d'avoir la cure sur le marché noir. Il l'annonce ensuite à son père, qui refuse l'idée de la vie éternelle, ne voulant que rejoindre sa femme déjà décédée, à sa sœur, qui refuse également l'idée ne voulant pas passer l'éternité à s'en faire pour ses enfants, et à sa colocataire, qui le supplie de lui donner l'adresse de son médecin. Il le fait et se rend avec elle jusqu'à l'édifice du centre-ville, mais un terroriste anti-cure fait sauter le bureau alors qu'elle s'y trouve, tuant la jeune femme et le médecin. Cet évènement marque profondément le protagoniste, le forçant à se questionner sur la valeur de la vie et de la mort lorsque le vieillissement du corps n'entre plus en jeu. Dix ans plus tard, en 2029, alors que la vie continue, il décide de se spécialiser en droit du divorce, puisque ceux-ci se multiplient : les hommes riches ayant réalisé soudainement que cette vie éternelle dépasse largement les limites de ce qu'ils avaient envisagé comme engagement. Plus personne ne se marie, sinon dans des contrats à durée limitée (cycle-marriage). Le narrateur apprend d'ailleurs que sa petite amie est enceinte et qu'elle souhaite se marier. Il refuse et elle le quitte. Elle élèvera son enfant, David, avec un autre homme. Alors que David atteint l'âge d'un an, son grand-père, qui avait fini par succomber et obtenir la cure (désormais rendu légale), est désespéré de son choix qu'il regrette et est heureux d'apprendre qu'il se meurt d'un cancer très violent. Il meurt ainsi peu de temps après. John a alors trouvé l'amour de sa vie, une ancienne copine de classe sur qui il a passé toute son adolescence à idolâtrer et qu'il a retrouvée par hasard. Après ses retrouvailles, le soir même, il est attaqué par une bande de Terra-trolls, un prolongement des trolls qui sévissent sur Internet et qui ont décidé de répandre le chaos dans le monde réel. Entièrement maquillés et habillés de vert (Greenies), ils attaquent les passants qui ont eu la cure et gravent leur date de naissance dans leur peau. John est profondément traumatisé par cette attaque qu'il vit comme un véritable viol. Lorsqu'il retrouve le troll par hasard, il l’attaque sauvagement et le tue, mais effraie par le fait même sa fiancée qui recule dans la rue et se fait tuer par un camion. D'autres dérapages importants démontrent l’anomisation progressive de la société :par exemple, de nombreux survivalistes accumulent les denrées et les armes (stockpiling), alors qu’une femme est condamnée pour avoir donné la cure à son bébé de huit mois pour qu'il ne grandisse jamais. Le terrorisme se généralise et certains pays condamnent à mort ceux qui ont reçu la cure au-dessus d’un certain âge.

28 ans plus tard, en 2059, on retrouve John qui a vécu une longue période d'errance, vivant dans la rue parmi toute une nouvelle classe de désoeuvrés immortels. Il se reprend alors en main et se fait embaucher dans une compagnie qui se spécialise dans le suicide assisté (end specialization), alors légalisé. Les gens qui ont eu la cure et souhaite mourir contactent cette compagnie et ceux-ci se rendent chez eux, procède à une entrevue, enregistre un testament vidéo et les tue selon la méthode qu'ils désirent. John n'est d'abord que l'intervieweur, accompagnant le tueur. Il a choisi ce boulot parce qu'il a trouvé déplorable la façon dont son père est décédé, malheureux de son immortalité, impuissant à choisir sa propre destinée. Son fils David, désormais adulte et membre très respecté d'une secte humaniste et collectiviste pro-cure assez radicale (la Church of Man), déplore se choix de carrière, mais lorsqu'un terroriste détruit le temple que David fréquente, le tuant lui et tous les membres de la famille qui lui reste, John se radicalise et devient lui-même tueur, allant jusqu'à accepter les nouveaux contrats de « suicides » assistés involontaires du gouvernement. C'est que la situation est pire que jamais : non seulement le vieillissement a été stoppé, mais une cure universelle contre toutes les maladies a aussi été découverte sous la forme d'une nanotechnologie (Skeleton Key) qui détruit toutes cellules néfastes, qu'elles soient bactériennes, virales ou cancérigènes. La planète n'en peut plus. Les Chinois ont commencé à tatouer les nouveau-nés avec leur date de naissance après avoir interdit la cure, puis ils ont entièrement fermé leur frontière, allant même jusqu'à « atomiser » leurs propres villes pour contrôler leur population. En 2079, les États-Unis sont devenus un pays du tiers-monde. Ceux qui ont eu la cure sont refusés dans les hôpitaux surchargés, les bidonvilles sont innombrables, l'eau est devenue une denrée rare et extrêmement coûteuse. La mort n'a jamais été aussi présente que dans ce monde d’immortels. Dans ce contexte, le gouvernement met donc à prix la tête de tous les criminels (hard end specialization), puis des personnes âgées, qui ont « assez vécu ». C'est à ce moment que John trace la ligne et qu'il refuse de continuer. Il démissionne et part en cavale avec une femme ex-terroriste enceinte qui l’obsède depuis des décennies (après l'avoir entrevue sur la rue plusieurs fois) et qu'il a décidé de protéger. Pris au cœur d'une émeute, il se réfugie dans la Church of Man, où le nom de son fils lui ouvre les portes. Blessé, il meurt au bout de son sang, ayant réussi à sauver la vie de la femme enceinte, désormais sous la protection la Church of Man.

Extraits
« thousands of entries […] have been edited and abridged into what we believe constitutes an essentiel narrative, and incontrovertible evidence that the cure for aging must never again be legalized. » (2)

« what this involves is me taking  a sample of your DNA, then finding and altering – or, more precisely, deactivating – a specific gene in your DNA, and then reintroducing it into your body through what’s known as a vector, or a carrier. In this case, that means a virus. So I’m going to take some blood from you today, isolate the gene, change it, create the vector virus, and then inject that vector back into your system at three distinct points: your inner thigh, your upper arm, and your neck. That’s two weeks from now. And then we’re done. After you go home, the virus will replicate the new gene code throughout your system. Within six months, it will be present in all your tissue, and the aging of your body will be permanently frozen where it is. The rest, after that, is up to you. » (7)

« This doctor will only take direct referrals from a small circle of people he knows, and one of them happens to be a guy I know. No extra degrees of separation beyonf that. It’s like a drug dealer, I swear. […] Who made you guardian of the fountain? What – is this like your boys’ club? Do you all go get the cure and then take a naked swim together? Is that it? » (17)

« It’s not that people don’t want to die. It’s that they don’t want to grow old. » (22)

John/His father: « "I’m getting the cure. […] I knew someone. It wasn’t that hard. Do you want it? The doctor said he wouldn’t give it to anyone over thirty-five, but I bet I could convince him otherwise, or find someone else to do it." "Won’t give it to anyone over thirty-five? Wells, isn’t that a bitch? I suppose I’m a member of the 'unluckiest generation' now. That’s what they called it in the news report. 'The last to die,' they said. It’s like the people who died just as TV was being invented. That had to have been aggravating. You spend your whole life sitting next to some giant radio. And when they finally get around to adding picture to the sound, you’re dead as a doornail. Not really fair. […] I dunno. Look, I don’t mean to sadden you. Because I’m happy as can be that you found something that will keep you healthy forever and ever. I really am. It’s a comfort for me to know that you’re not going to frow old and have crappy knees and hit a golf ball no more that eighty yards. But each day I’m down here is another day I’m away from your mother." » (20-21)

John’s roommate : « I am gonna party my ass off until the year 5000! » (18)

« "Immortality will kill us all." There are wild postings with that statement all along First Avenue. […] They’re simple black-and-white posters. Just type. No fancy fonts or designs in the background. No web address. That one sentence is all they say, over and over again, down and across the hoardings. When I walked by them, they were clean, as if they had been posted the night before. But I noticed, as I got toward the end of the block, that one of them had already been defaced. Not on the lowest rung but the second from the bottom. Someone had used a cheap, blue ballpoint pen to write something underneath the slogan. It was small, but is was unmistakable : except for me. » (5)

« They change the slogan on those First Avenue wild postings : death be proud. I don’t think it’s annywhere near as clever as the first one they tossed up there. Nearly all the posters had already been defaced by the time I saw them. There was one piece of graffiti that I particulary enjoyed. It had been done by someone who was clearly skilled with a can of spray-paint. It was the grim reaper, with his scythe plunged straight through his own back, impaling him and leaving him dangling in midair. He was stone dead. » (24)

Allan Atkins : « How can this administration justify doing what it is doing? How? How is it possible? You tell me where it says in the Constitution that this cure is forbidden. […] any judge worth his salt would look at this ban and see a crime. An outright crime against a country and its citizen. And the only judge that would ban it would be fascist, activist judge who wishes to impose his or her individual beliefs upon us all. See, this ban is liberal thinking at its absolute worst. They don’t want to give you the freedom to make your own choices. They want you to suffer. They are antihuman. It’s not enough for them to merely hate America. No, now they hate the very idea of humanity. Humans are bad. » (32)

« I took my picture again this morning. Still the same. […] there are some slight differences there, but the fundamental aspects of my face are identical from each day to the next. If you made a flip-book ot it, it would be the most boring film imaginable. […] You wouldn’t know that I’ve lived ten years between the first photo and the last. All 3,650 pictures could – if not for my hair – have been taken on the same day. The time span is invisible. It’s as if I haven’t lived at all. » (75)

« I once met a traveler who told me he would live to see the end of time. He laid out all his vitamins before me and told me he slept seven hours every night, no more or less. All the life you want, he said. It’s all within the palm of your hand now. He said he would outlast all the wars and all the diseases, long enough to remember everything, and long enough to forget everything. He’d be the last man still standing when the sun decides to collapse upon itself and history ends. He said he had found the safest place on earth, where he could stay until the gateway to the beyond opened before him. A thousand generations from today. I pictured him here, atop a remote and snowy mountain. The heavens opening and God congratulating him for his perseverance. […] A life into divinity. But I knew it was a lie. I’ve always known it was a lie. You cannot hide from the world. It will find you. It always does. And now it has found me. My split second of immortality is over. All that’s left now is the end, which is all any of us ever has. […] There is no dread. There is only certainty. » (365)